Je vous mets un extrait de mon livre préféré, parce que c'est ça, c'est tellement ça. Ce passage, c'est mon favori depuis que j'ai 13 ans, je l'ai lu et relu, souhaitant, encore et encore être un arbre, être bien où je suis, ne pas avoir cette envie récalcitrante de partir, moi non plus.
Il est peut être un peu long, mais il en vaut la peine, parce que Réjean Ducharme est un génie et parce que ça nous touche tous. Et parce que mon Dieu, c'est tellement ça.
L'arbre sent qu'il est beau, c'est-à-dire qu'il en jouit. Tous les arbres sont beaux. L'arbre croît imbu de l'assurance qu'il est beau, et meurt comme il a vécu : en accord avec le monde et avec lui-même. L'arbre est beau, il le sait, et cela lui suffit. Il ne caresse pas son tronc avec ses branches, il ne parle pas, il ne marche pas. Il n'a pas besoin de faire tout cela : être beau lui suffit. Il ne marche pas parce qu'il est bien où il est. Il ne bouge pas parce qu'il est bien dans l'état où il est, si bien qu'il ne pense même pas à en changer, si bien qu'il en a oublié de penser. Il reste là. Il ne fait aucun geste. Il ne cherche et ne veut rien parce qu'il ne lui manque rien. S'il savait parler, il ne parlerait pas parce qu'il n'a rien à demander. L'arbre est une réussite totale, une perfection. Il est au-dessus de la satisfaction. La satisfaction naît de l'insatisfaction, et il est dépourvu d'insatisfaction : de besoin, d'aspiration. Il est impossible de satisfaire un être qui n'a nul besoin, quelqu'un qui par sa nature est lui-même tout ce dont il a besoin. L'arbre n'a besoin de rien d'autre que ce qu'il est, et il en a un incessant besoin. L'arbre est seul et se suffit. [...] L'homme est incomplet, est une créature manquée, est une créature à laquelle il manque de tout, est un parasite.
Réjean Ducharme, Le nez qui voque, [Paris] : Gallimard, Folio ; 2457, 1993, p.49-50
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